Au cœur du glacier Svartisen, au nord de la
Norvège, des glaciologues ont implanté leur laboratoire sous 200 m de
glace. À l’interface entre la roche et la glace, ce laboratoire atypique
permet aux scientifiques d’étudier la vitesse de déplacement du glacier
et les secousses sismiques qu’il provoque. Comment un
glacier entre-t-il en
mouvement ? Au XVIII
e siècle, les glaciologues, qui avaient mis ce déplacement en évidence,
l'expliquait par la pesanteur et le glissement. En réalité, un glacier
doit son déplacement au fait que la glace est un
fluide visqueux, par définition poussé vers l’avant sur une pente.
Durant son mouvement, le
glacier se déforme et la vitesse de glissement varie entre sa base et la
surface. Au contact des rochers irréguliers, la glace s’écoule de façon
inhomogène. La force exercée, fonction de sa vitesse, est donnée par une
loi de glissement. Son étude est aujourd'hui l'un des principaux thèmes
de recherche en glaciologie. Il est toutefois particulièrement
difficile d’étudier de près les interactions entre la roche et la glace.
Forer jusqu’à la base du glacier n’est pas une tâche facile, la
manœuvre requiert une logistique importante.
La plupart du temps, les glaciologues profitent d'installations hydroélectriques ou tirent parti de
cavités naturelles. Mais une équipe de la
Norwegian Water Resources and Energy Directorate (NVE) a persuadé les compagnies hydrauliques de les laisser créer leur
laboratoire… à l’intérieur du glacier ! Ainsi, à 200 m sous la surface
du glacier Svartisen dans le nord de la Norvège, les chercheurs se sont
installés directement sur la base du glacier, à l’interface entre la
roche et la glace.
Le glacier Svartisen se situe au nord de la Norvège. Une équipe de recherche de la NVE a profité de la création d'un tunnel (Tunnel entrance,
entrée du tunnel sur l'image) par une compagnie hydraulique pour créer
son propre laboratoire à 200 m de profondeur. © Hallgeir Elvehøy, NVEFaire fondre l’intérieur du glacierPour accéder à leur laboratoire, les chercheurs
doivent surmonter de nombreux obstacles. Au départ d’une petite ville au
nord de la Norvège, il faut rouler plusieurs heures, prendre un ferry
pour finalement atteindre un tunnel de glace. Leur laboratoire se trouve
au bout du tunnel.
L’objectif premier de ce laboratoire est donc
d’étudier le glissement de la glace sur le socle rocheux. Avec de l’eau
chaude, les chercheurs menés par Miriam Jackson, hydrologue à la NVE,
ont fait fondre la glace, créant des tunnels de 9 à 12 m de long. L’eau
provient d’un chauffe-eau situé dans le tunnel principal. Elle est
pompée et dirigée jusqu’au tunnel de glace. La
fonte d'un glacier depuis ses entrailles est un processus lent : la création d'un tunnel de glace peut durer entre 24 et 48 heures.
Ces manipulations permettent d’évaluer la variation de vitesse du glissement de la glace et d’étudier les conduits de
drainage.
En effet, lorsque le glacier fond en été, l’eau de surface s’écoule
vers la base du glacier, formant alors de petites cavités : c’est le
réseau de drainage. Bien comprendre la dynamique du
mouvement d’un glacier permettra d’évaluer de façon plus précise son influence sur l’élévation du niveau de la mer.
Un laboratoire aux conditions de vie extrêmesLe laboratoire naturel permet en outre d’étudier les signaux sismiques. Le déplacement du glacier peut provoquer, par
friction avec la roche, d’importantes secousses. Un aspect très intéressant pour
la recherche, car les sismographes sont ici installés au foyer des
secousses sismiques, et non en surface.
Les chercheurs de la NVE ont récemment mesuré la
résistance au glissement de la glace à l’interface entre le rocher et le bloc de
glace. Étonnamment, la majorité de la résistance est due à la friction
entre la glace riche en débris et le socle. Jusqu'à présent, les
chercheurs pensaient que l'écoulement glaciaire fournissait la majorité
de la résistance à la friction du glacier en rencontrant des obstacles
du socle rocheux.
Si les conditions de travail sont particulièrement
dures, les résultats sont inédits. Étudier les frictions entre la roche
et la glace à la base du glacier est plus efficace que les travaux en
surface. L’équipe ne travaille que durant l’hiver, pour éviter l’eau de
fonte, et le laboratoire ne peut accueillir que 6 personnes. La
difficulté des conditions de travail serait presque comparable à celles
des
missions en Antarctique.